Pour moi, ce
troisième jour de stage commence, à la demande de Rose-Henriette BERNADOTTE que
je ne présente plus, avec la prise en
charge de deux patients. Bon, on se rend compte rapidement qu'il y en a un qui
sort ce matin donc il n'en reste plus qu'un.
Et c'est tant
mieux.
Parce que prendre
en charge un patient commence avec l'ouverture de son dossier de soins, afin
de préparer la médication de 8h et anticiper celle de midi. Et là ... on fait
glourps !
Car c'est un
véritable travail de décodage qui m'attend. Rien n'étant informatisé, il faut
déchiffrer l'écriture du médecin traitant, ce qui constitue déjà un premier
barrage à priori infranchissable.
Et puis les noms
des médicaments, déjà que je n'en connais pas beaucoup, ne sont pas les mêmes
qu'en France et enfin la posologie n'est pas indiquée de la même façon que chez
nous !
Par exemple,
"2 fois par jour" s'inscrit BiD, pour Bis In Die (c'est du latin) ou
Tid, ou QJour (pour Quo - chaque en latin - jour). Bref, cela fait beaucoup
d'obstacles. Et à cela il faut rajouter le fait que parfois, le médicament
prescrit n'est pas dans le casier du patient. Il faut alors réaliser un bon
pour la pharmacie etc, etc ... Je ne parle même pas de l'organisation des
feuilles d'ordonnance, celle d'origine et toutes celles modifiées, complétées,
qu'il faut lire attentivement une à une pour s'assurer de ne rien oublier ...
Non vraiment, c'est
pour moi très compliqué et je me demande comment les infirmières font pour s'y
retrouver !
Dans la matinée,
Miss Bernadotte me propose d'assister à une thoracocentèse, sur une patiente
victime d'un épanchement pleural massif. C'est un geste réalisé par le médecin,
qui permet d'éliminer du liquide en trop grande quantité quand celui-ci
comprime les poumons et entraîne des difficultés respiratoires.
La patiente est
assise sur le lit. On attend l'arrivée du matériel nécessaire à l'intervention.
10 minutes
s'écoulent ...
Il arrive enfin
dans un sac plastique noir, gants stériles, compresses et nécessaire enveloppés
dans du papier kraft. Apparemment il manque des choses et surtout, le médecin
aux mains trapues déchire un des gants en l'enfilant (je compatis ça m'arrive
aussi ...). Nouvelle demande à la pharmacie. Pour une nouvelle paire de gants
et une aiguille qui manquait dans le premier arrivage. La dame patiente, assise
depuis bientôt une demi-heure lorsque tout est enfin en place.
Le médecin est
assisté d'une auxiliaire. Il procède à l'aseptie puis prélève du liquide
pleural destiné dans un premier temps à une analyse biologique. Toute l'opération se déroule en stérile.
Puis il s'arme
d'une plus grosse seringue, de 60 cc avec laquelle il pompe le liquide en trop
(de couleur rouge saumon) et l'évacue dans une bassine en zinc qu'il a fait
placer devant lui, largement visible par la patiente, qui ne bronche pas et ne
semble nullement affectée par les
va-et-vients de cette grosse seringue que le médecin visse et dévisse sur l'aiguille en place et rejette
autant de fois ce liquide qui finit par mousser dans la bassine sous la
pression du jet. Rappelons qu'en plus notre médecin a les mains trapues !
Moi je suis pour
ainsi dire en pleine compassion. Je souffre pour elle et n'en reviens pas du
nombre d'allers-retour, espérant qu'à chaque évacuation le supplice va prendre
fin. J'arrête de compter à 18, mais je sais qu'au total, c'est plus de 1,5
litre de liquide qui a été retiré ...
Le geste du médecin
est très mécanique. Il ne s'adresse quasiment pas à la patiente.
Son téléphone se
met à sonner à sa ceinture. D'un regard, il me demande de le sortir de son
étui. Je m'exécute, lui montre le nom de son interlocuteur, et il me demande de
décrocher. Je lui colle le portable à l'oreille et il répond, tout occupé à
vider la dame qui n'a pas bougé d'un poil ...
Et pour finir,
j'aimerais vous rapporter cet entretien avec Miss Bernadotte, qui me demande
pourquoi je viens faire mon stage en Haïti.
Alors me voilà
parti dans un bel argumentaire d'un mec de pays riche (avec un petit accent
intello parisien que tout le monde saura reproduire) : "Ben oui quoi,
c'est quand même bien d'aller voir ailleurs ce qui se passe, ça permet de
s'interroger sur ses propres pratiques et de mieux appréhender la différence
culturelle, et ça permet de comprendre que finalement la vie n'existe qu'à
travers son propre regard et qu'il y a autant de visions du monde qu'il y a
d'individus sur cette terre ..." Bon, j'exagère, mais en gros je lui
explique ça. Elle feint de comprendre, mais lorsqu'à mon tour, je lui demande
comment elle perçoit ma venue et mon stage parmi eux, elle me dit qu'avec tout
ce qu'on doit raconter sur Haïti, le séisme, la misère, l'insécurité ... Elle
se demande bien ce que je viens chercher ici ...
Forcément ça fait
réfléchir, non ?