mercredi 25 mars 2015

Choc culturel ! On m'avait prévenu ...



Pour moi, ce troisième jour de stage commence, à la demande de Rose-Henriette BERNADOTTE que je ne présente plus,  avec la prise en charge de deux patients. Bon, on se rend compte rapidement qu'il y en a un qui sort ce matin donc il n'en reste plus qu'un.
Et c'est tant mieux.
Parce que prendre en charge un patient commence avec l'ouverture de son dossier de soins, afin de préparer la médication de 8h et anticiper celle de midi. Et là ... on fait glourps !
Car c'est un véritable travail de décodage qui m'attend. Rien n'étant informatisé, il faut déchiffrer l'écriture du médecin traitant, ce qui constitue déjà un premier barrage à priori infranchissable.
Et puis les noms des médicaments, déjà que je n'en connais pas beaucoup, ne sont pas les mêmes qu'en France et enfin la posologie n'est pas indiquée de la même façon que chez nous !
Par exemple, "2 fois par jour" s'inscrit BiD, pour Bis In Die (c'est du latin) ou Tid, ou QJour (pour Quo - chaque en latin - jour). Bref, cela fait beaucoup d'obstacles. Et à cela il faut rajouter le fait que parfois, le médicament prescrit n'est pas dans le casier du patient. Il faut alors réaliser un bon pour la pharmacie etc, etc ... Je ne parle même pas de l'organisation des feuilles d'ordonnance, celle d'origine et toutes celles modifiées, complétées, qu'il faut lire attentivement une à une pour s'assurer de ne rien oublier ...
Non vraiment, c'est pour moi très compliqué et je me demande comment les infirmières font pour s'y retrouver !

Dans la matinée, Miss Bernadotte me propose d'assister à une thoracocentèse, sur une patiente victime d'un épanchement pleural massif. C'est un geste réalisé par le médecin, qui permet d'éliminer du liquide en trop grande quantité quand celui-ci comprime les poumons et entraîne des difficultés respiratoires.
La patiente est assise sur le lit. On attend l'arrivée du matériel nécessaire à l'intervention.
10 minutes s'écoulent ...
Il arrive enfin dans un sac plastique noir, gants stériles, compresses et nécessaire enveloppés dans du papier kraft. Apparemment il manque des choses et surtout, le médecin aux mains trapues déchire un des gants en l'enfilant (je compatis ça m'arrive aussi ...). Nouvelle demande à la pharmacie. Pour une nouvelle paire de gants et une aiguille qui manquait dans le premier arrivage. La dame patiente, assise depuis bientôt une demi-heure lorsque tout est enfin en place.
Le médecin est assisté d'une auxiliaire. Il procède à l'aseptie puis prélève du liquide pleural destiné dans un premier temps à une analyse biologique. Toute l'opération se déroule en stérile.
Puis il s'arme d'une plus grosse seringue, de 60 cc avec laquelle il pompe le liquide en trop (de couleur rouge saumon) et l'évacue dans une bassine en zinc qu'il a fait placer devant lui, largement visible par la patiente, qui ne bronche pas et ne semble nullement affectée  par les va-et-vients de cette grosse seringue que le médecin visse et dévisse sur l'aiguille en place et rejette autant de fois ce liquide qui finit par mousser dans la bassine sous la pression du jet. Rappelons qu'en plus notre médecin a les mains trapues !
Moi je suis pour ainsi dire en pleine compassion. Je souffre pour elle et n'en reviens pas du nombre d'allers-retour, espérant qu'à chaque évacuation le supplice va prendre fin. J'arrête de compter à 18, mais je sais qu'au total, c'est plus de 1,5 litre de liquide qui a été retiré ...
Le geste du médecin est très mécanique. Il ne s'adresse quasiment pas à la patiente.
Son téléphone se met à sonner à sa ceinture. D'un regard, il me demande de le sortir de son étui. Je m'exécute, lui montre le nom de son interlocuteur, et il me demande de décrocher. Je lui colle le portable à l'oreille et il répond, tout occupé à vider la dame qui n'a pas bougé d'un poil ...

Et pour finir, j'aimerais vous rapporter cet entretien avec Miss Bernadotte, qui me demande pourquoi je viens faire mon stage en Haïti.
Alors me voilà parti dans un bel argumentaire d'un mec de pays riche (avec un petit accent intello parisien que tout le monde saura reproduire) : "Ben oui quoi, c'est quand même bien d'aller voir ailleurs ce qui se passe, ça permet de s'interroger sur ses propres pratiques et de mieux appréhender la différence culturelle, et ça permet de comprendre que finalement la vie n'existe qu'à travers son propre regard et qu'il y a autant de visions du monde qu'il y a d'individus sur cette terre ..." Bon, j'exagère, mais en gros je lui explique ça. Elle feint de comprendre, mais lorsqu'à mon tour, je lui demande comment elle perçoit ma venue et mon stage parmi eux, elle me dit qu'avec tout ce qu'on doit raconter sur Haïti, le séisme, la misère, l'insécurité ... Elle se demande bien ce que je viens chercher ici ...


Forcément ça fait réfléchir, non ?