samedi 2 mai 2015

Une fin de semaine qui s'accélère ...

Ce matin, j'ai décidé de marquer un pause au milieu du pont du 1er août. Je suis retourné à l'Hôpital Français, en chirurgie, pour assister à une prostatectomie. L'opération était prévue depuis mercredi et comme le début de semaine avait été calme, il me semblait intéressant d'assister à cette intervention ...

J'arrive à 7h. J'apprends que l'opération prévue à 8h va être décalée car on va d'abord devoir procéder à une césarienne en urgence. Une jeune femme souffre depuis la veille. Son bébé est à terme mais les voies naturelles semblent impénétrables pour cet enfant qui présente par ailleurs une tête trop volumineuse ...

A 8h, tout est en place pour accueillir la patiente. Et en quelques minutes seulement, le chirurgien a incisé depuis l'épiderme jusqu'au placenta. Une boule couverte de cheveux noirs fait son irruption l'instant d'après. N'ayant encore jamais vu cela "en vrai", inutile de dire que je suis impressionné. C'est un moment d'intense émotion, abrégé injustement car une effervescence s'est soudain constituée autour du bébé qui ne hurle pas comme tout petit être humain qui se respecte. On le frotte, on l'oxygène, en l'aspire en tout sens. La tension monte jusqu'à ce qu'enfin des petits cris aigus libèrent l'angoisse générale. Surtout la mienne en fait ...
La maman va bien, le petit garçon (si j'ai bien vu) se porte bien également merci ...

La deuxième salle d'opération est prête pour accueillir un vieil homme qui souffre de troubles de la miction (problèmes pour faire pipi ...), due à un adénome (tumeur bégnine) présent dans la prostate et qui fait obstacle. Il faut donc le retirer.
Les gestes du chirurgien sont précis et fermes. Je m'habitue peu à peu à cette vision qui reste troublante d'un corps qui s'ouvre et offre à la vue ce qu'il y a à l'intérieur. C'est à la fois repoussant car on a du mal à éviter notre propre projection à la place du patient et en même temps fascinant. 
Le chirurgien a incisé la vessie et il doit désormais aller déloger cet adénome qui obstrue l'urètre. Il le fait avec ses doigts et met quelques minutes avant de sortir ce bout de viande que l'on place immédiatement dans un petit pot à des fins d'analyses ...
Il faut ensuite recoudre tout ce qui a été découpé : vessie, péritoine (membrane qui recouvre tous les organes de l'abdomen), fascia (qui couvre le muscle abdominal), tissu adipeux, épiderme. Ce travail est long et méticuleux, mais garant d'une bonne cicatrisation.

La matinée n'est pas terminée ... On sonne de façon insistante à la porte des urgences : une foule de personnes, dont l'équivalent local de notre SMUR, accompagne sur une civière un homme d'une quarantaine d'années, atteint par une balle, au niveau du crâne.
La victime est dans le comas. Nous la hissons sur le lit de la salle d'urgence. Elle vient directement d'un autre hôpital qui ne pouvait l'accueillir mais où il lui a été posée une perfusion et effectué un scanner qui a révélé la présence du projectile à l'intérieur du crâne. L'homme, inconscient, a une fréquence respiratoire élevée. Sa tension, elle aussi très haute, ne laisse rien présager de bon.
Le médecin de garde, après une auscultation rapide (il constate notamment que ses pupilles ne se dilatent plus à la lumière) nous confirme que son état est désespéré.
Il faut savoir qu'en Haïti, les armes sont très courantes, et ce genre d'accident l'est aussi malheureusement. De nombreuses anecdotes m'on été rapportées de personnes qui se sont faites tirer dessus après avoir refusé de céder au braquage. La leçon n°1 est donc : Si tu te fais braquer, tu donnes tout ce que tu as sans opposer de résistance !
Le pauvre homme est gardé sous surveillance. Lorsque j'ai quitté le service, il était toujours en vie ...

Une dernière intervention se prépare dans l'une des salles. Une dame d'une soixantaine d'années présente une occlusion intestinale et doit subir une opération exploratoire de l'abdomen.
Aussitôt dit aussitôt fait ! Après anesthésie générale, le chirurgien incise l'abdomen et ... en extirpe (on pourrait dire extripe dans ce cas) l'ensemble du gros intestin afin d'explorer où se trouve l'occlusion et surtout quelle en est la cause. C'est là encore une image très impressionnante pour moi. Je ne peux m'empêcher de penser à la bonne vieille méthode de l'inspection d'une chambre à air  gonflée et trempée dans une bassine d'eau pour localiser où elle est percée ...
A cet instant, le chirurgien m'interpelle. Il me demande de prendre quelques photos avec son Iphone. Ils ont localisé l'endroit où ça bloque. L'intestin est vrillé et comporte des brides (vraisemblablement dues à une opération plus ancienne). Je m'applique donc à immortaliser cette anomalie en gros plan.

Sinon, je ne fais pas que des photos ! 
Ce n'est pas simple de s'intégrer dans une équipe où tout va vite, où les repères et les habitudes sont tellement ancrés que les actions se déroulent avec logique et fluidité.
Avant que tout ne s'accélère, j'assiste l'anesthésiste dans la préparation du matériel, j'aide à l'installation du patient lorsqu'il arrive en salle. Durant l'intervention, j'observe tout. Ce que font les chirurgiens autant que ce qui se passe autour et là où je pourrais être utile. J'ouvre les paquets stériles et les offre à l'infirmière instrumentiste, j'active ou désactive l'appareil à succion. Je remplace momentanément l'anesthésiste et assure le contrôle des signes vitaux ... 
Mais il faut du temps. Du temps pour intégrer la vision d'une chirurgie à ventre ouvert, du temps pour anticiper les gestes et besoins des chirurgiens, du temps pour comprendre et intégrer l'organisation minutieuse d'une intervention. 

A 13h30, je quitte le bloc. Tout cela m'a mis en appétit et ça tombe bien, je suis attendu par des amis sénégalais pour manger un bon Tieboudien ! 

Elle aussi je l'aurais bien mangé mais ses parent n'ont pas voulu ...

Et un bon gros big up à Chloé, Inès et Solène à Ouro-Sogui que je mets au défi de manger haïtien (préparé par un haïtien) avant la fin de leur séjour ...