jeudi 2 avril 2015

Un bébé qui n'a pas de veine, et autres histoires de la semaine ...

Pour moi la semaine est terminée depuis ce jeudi 13h30.
Demain, c'est férié ici en Haïti. C'est le vendredi de Pâques. Mais en revanche je travaille lundi !

Après 9 jours de stage ...

Première visite aux urgences ce matin, à l'arrivée d'un bébé de 7-8 mois présentant diarrhées et vomissements depuis 5 jours. L'urgence est donc de le réhydrater au plus vite, et pour cela, il faut lui poser un cathéter veineux.
C'est tout d'abord Miss Fleurant, la cadre du service Urgences-Bloc qui s'y colle. Le bébé est occupé à téter le sein de sa mère, mais il doit bien sentir que quelque chose de désagréable se prépare. Poser un cathé sur un bébé n'est pas simple. Les avants-bras et les mains sont tout potelés et les veines quasi-invisibles. Et particulièrement sur cette petite fille.
Le premier essai sur la petite main est un échec, et Miss Fleurant essaie un peu plus haut dans le plis du coude. Mais là encore, tandis que l'enfant hurle et se débat, l'aiguille ne trouve pas la veine. 
On change alors de côté. La cadre est assistée d'une infirmière, puis deux. Et le geste qui habituellement ne prend pas plus de 5 minutes, est en train de virer au calvaire pour le bébé car de ce côté-ci, les veines ne sont pas plus visibles et Miss Fleurant n'y parvient pas.
Il faut essayer toutes les possibilités car cette enfant doit être réhydratée, il n'y a pas le choix. Ce sont ses petits pieds qui font maintenant l'objet de toute l'attention des soignantes, à la recherche désespérée d'un signe visible ou même invisible (au toucher) de la présence d'une veine. On pique, on repique. Et ça ne marche toujours pas. Alors on réessaye les bras, les mains. L'épreuve est pénible pour toute l'équipe, pour la mère et la petite fille bien sûr. Cette dernière alterne cris de détresse et moments d'endormissement, à bout de force. Les infirmières et cadres se succèdent. Même Miss Bernadotte est venue en renfort.
Le médecin du service est là lui aussi. Il glisse en créole à l'oreille de Miss Fleurant que c'est sûrement le blanc qui porte la poisse et qu'il devrait peut-être sortir, juste pour voir ... Ce à quoi la cadre répond par un rire franc. Et qu'il n'est pas question que je sorte ! C'est le médecin lui-même qui me raconte cela dans un second temps. Tout cela est pour plaisanter bien sûr. Mais je ne peux m'empêcher de me dire que désormais je vais rester jusqu'à la fin de l'opération, parce que si je devais quitter la pièce et que le geste réussisse à cet instant, les dires du médecin pourraient bien être pris au sérieux !! 
Il faut savoir qu'en Haïti, les blancs ne sont pas toujours les bienvenus, assimilés aux grosses ONG venues après le séisme et pas seulement responsables de la reconstruction du pays, ou bien aux forces de l'ONU encore présentes dans le pays (La MINUSTAH - Mission des Nations Unies Pour la Stabilisation en Haïti) pas très appréciées par la population et donnée responsables de l'épidémie de choléra survenue après le séisme. Bref, le blanc peut effectivement être synonyme de porte-malheur pour certains individus.

Mais retournons à notre enfant.
Il aura fallu 1h45 pour que cesse le cauchemar ... C'est Miss Fleurant qui trouve enfin une veine au niveau du pied gauche et ouvre pour cette petite fille la voie de la réhydratation ...

Un début de semaine difficile ...

Lundi et mardi ont été pour moi des journées compliquées. 
Miss Bernadotte, avec qui j'étais jusque là en bons termes, a brusquement changé d'attitudes avec moi. 
En une semaine de stage, je ne suis pas parvenu à intégrer parfaitement le fonctionnement du service, et il semblerait que la cadre aurait voulu qu'il en soit autrement. Alors elle me reproche de ne pas comprendre plus vite, et surtout, elle me fait remarquer à maintes reprises qu'elle n'a pas que ça à faire que de s'occuper de moi ... C'est une situation très délicate pour moi. Je ne sais plus par où prendre les choses, hésitant à demander des précisions lorsque je doute sur le décodage d'une prescription, d'une posologie. Et pourtant, l'administration d'un médicament n'étant pas un acte anodin, j'ai besoin d'être sûr de moi. Mais la relation qui s'est instaurée avec elle depuis le début de semaine entame sérieusement ma confiance en moi.
Mardi est un jour particulièrement dur à vivre, et je remets même en question la poursuite de ce stage dans de telles conditions ainsi que ma venue en Haïti.
Mais cela fait partie de l'apprentissage. Je remarque surtout que loin de nos repères, de notre cadre affectif habituel, il est facile de se faire une montagne de problèmes qui ne sont pas si graves que cela. Et il est facile aussi de trouver refuge dans le jugement, comme pour mieux se protéger.
Il est du coup indispensable de pouvoir prendre du recul sur ce genre de situation. Et d'en discuter au plus vite avec les personnes susceptibles d'apporter écoute, compréhension et soutien. Ce qui a été fait, avec le directeur de l'hôpital notamment, et avec d'autres qui se reconnaîtront et que je remercie.
Le lendemain, les choses s'arrangent. Nous discutons avec Miss Bernadotte de cet épisode. Je lui redis combien j'ai besoin de temps pour assimiler ce fonctionnement si différent du notre, lui rappelle que je ne suis qu'étudiant et n'ai jamais réalisé de stage en service de médecine. Elle est d'avantage dans la compréhension. Nous évoquons aussi le déroulement de mon stage dans les semaines à venir au sein de l'hôpital. Notre relation s'apaise. Et les journées qui suivent, hier et aujourd'hui, reprennent un cours normal ...

Cette semaine enfin a vu le décès de trois patients, dont une vieille dame amputée au dessus du genou suite à une gangrène, que j'avais déjà évoqué dans un précédent article. 
Face à la mort les proches peuvent être très expressifs. A l'image de cette personne, la fille de la défunte, qui pleure et hurle sa douleur en faisant les cent pas dans les couloirs du service, saute, se met à courir et crie de plus belle, entrant dans un comportement qui s'apparenterait à une transe ... Une façon d'extérioriser sa souffrance, bien différente de ce que l'on a l'habitude de voir chez nous, où l'on garde silence et dignité, tout au moins en public ...

Demain commence un week-end de trois jours. Avec en perspective un petit séjour à Dessalines, ancienne capitale d'Haïti, chargée d'histoire ...
Et des choses à raconter dés lundi ... Bon week-end à tous !