dimanche 10 mai 2015

Essai sur la société haïtienne (première partie)

Après 7 semaines d'observation, de lecture et d'échanges, je vous livre ma perception de la société haïtienne, en tout cas ce que j'en ai compris. Bien sûr, cette description est loin d'être objective, étant là depuis peu de temps, n'ayant pas vu toutes les facettes de cette société, et n'étant par ailleurs pas sociologue !


Il est important pour commencer de rappeler le socle historique sur lequel s'appuie cette société aujourd'hui.
Le peuple haïtien est constitué pour la très grande majorité de descendants d'esclaves venus pour beaucoup de Guinée. Exploité durant trois siècles, il a ensuite été cherché son indépendance dans le sang en 1804, en repoussant les troupes de Napoléon. 
La France n'a reconnu cette indépendance que 25 ans plus tard, sous la condition qu'Haïti rembourse une dette correspondant au manque à gagner que représentait cette soudaine perte. Quand on y réflechit, c'est quand même assez fort.
Cette dette s'élèvait à 150 millions de francs or, ce qui équivaudrait aujourd'hui à 17 milliards d'euros ! Elle a été soldée en 1886, mais les haïtiens ont payé les intérêts jusqu'au milieu du 20ème siècle ...
Vous remarquerez au passage que ce passé peu glorieux de notre beau pays est absolument absent de nos livres d'histoire ...
Toujours est-il que ce premier élément a joué dans le développement économique du pays, c'est indéniable. Et ce contentieux entre Haïti et la France est omniprésent encore aujourd'hui. François Hollande dans son discours aujourd'hui en Guadeloupe a souligné ce problème et nul doute qu'il y reviendra mardi lors de sa visite en Haïti ...

A cela il faut ajouter une main mise quasi omniprésente des Etats-Unis sur l'île, pour des raisons géo-stratégiques, difficiles parfois à déchiffrer. Notons simplement que Cuba n'est qu'à 150 km des côtes haïtiennes.
Rappelons enfin qu'à partir de 1957, Haïti a connu 30 années d'exaction sous le joug des Duvallier père et fils. 30 années durant lesquelles de nombreux intellectuels ont dû fuir le pays (notamment pour les Etats-Unis et le Canada) sous la menace des fameux tontons macoutes.
Depuis la chute de Bébé Doc (c'est ainsi qu'on surnommait Jean-Claude Duvallier) en 1986, l'instabilité chronique, là aussi savamment entretenue par ceux qui ont de gros intérêts économiques ou politiques en Haïti - Le pays est une des principales plaques tournantes du narco-trafic entre Etats-Unis et amérique Latine - l'instabilité chronique donc, maintient le pays dans un état de pauvreté avancée ou pour beaucoup la survie est devenue une préoccupation quotidienne.
La majorité des haïtiens qui a vu défiler des gouvernements corrompus et surtout inefficaces tourne le dos aujourd'hui aux promesses electorales des uns et des autres, boudant les élections (le taux d'abstention de la dernière présidentielle est proche de 80%).
C'est donc muni de ce prisme qu'il faut analyser les comportements.
Ainsi les haïtiens ont appris malgré eux à être méfiants vis à vis de leur propre voisin, méfiants aussi à l'égard de l'étranger, en particulier du blanc. J'ai pu le constater à mes dépends en début de stage, mais dans d'autres contextes également.
Il faut aussi souligner que les blancs sont assimilés à la fois aux riches, à ceux qui ont le savoir, le pouvoir, aux donateurs (à travers la multitude d'ONG présente sur le territoire) doublés parfois d'un habit de profiteur, aux anciens colons, dont beaucoup de ces derniers se sont mariés à des femmes haïtiennes, donnant naissance à des métisses que l'on appelle aussi mûlatres. Ayant pu bénéficier de l'éducation et de l'argent,  ces derniers sont aujourd'hui parmi les riches haïtiens, solidement ancrés dans le business où dans les rangs du pouvoir de génération en génération.
Pas étonnant donc que certains haïtiens nous perçoivent aussi comme responsables de tous leurs maux, un peu comme ailleurs on désignerait le noir ou l'arabe comme la cause de sa propre impuissance (suivez mon regard ...).
A titre d'exemple, un soir d'avril, nous nous rendons à un concert à l'Institut Français. C'est un concert en plein air. Beaucoup de monde est présent car les artistes qui jouent et chantent ce soir-là sont connus ici en Haïti.
Soudain, un groupe de jeunes, excités à la Prestige (bière locale), s'inspirant du tempo de la chanson en cours, se met à entonner un refrain qui dit "A bas colons, à bas Minustah" (MIssion des Nations Unies pour la STAbilisation en Haïti). Au moment où les paroles de l'artiste expriment par ailleurs la paix. Forcément, on se sent un peu visés. Et mal à l'aise, on préfère s'éloigner du groupe. Et puis on relativise, ce groupuscule est isolé et loin d'être majoritaire, mais cela montre bien que finalement, où que l'on se trouve dans le monde, l'appauvrissement culturel, le manque d'éducation et la perspective d'un avenir incertain constituent un terreau fertile à la stigmatisation de l'étranger et à la recherche de boucs émissaires. Ici, le bouc émissaire, ça peut être le blanc, ça change un peu ...