Après 7 semaines d'observation, de lecture et d'échanges, je vous livre ma perception de la société haïtienne, en tout cas ce que j'en ai compris. Bien sûr, cette description est loin d'être objective, étant là depuis peu de temps, n'ayant pas vu toutes les facettes de cette société, et n'étant par ailleurs pas sociologue !
Il est important pour
commencer de rappeler le socle historique sur lequel s'appuie cette société aujourd'hui.
Le peuple haïtien est constitué pour la très grande majorité de descendants d'esclaves venus pour beaucoup de Guinée. Exploité durant trois siècles, il a ensuite été cherché son indépendance dans le sang en 1804, en repoussant les troupes de Napoléon.
La France n'a reconnu cette
indépendance que 25 ans plus tard, sous la condition qu'Haïti rembourse une
dette correspondant au manque à gagner que représentait cette soudaine perte. Quand
on y réflechit, c'est quand même assez fort.
Cette dette s'élèvait à 150
millions de francs or, ce qui équivaudrait aujourd'hui à 17 milliards d'euros !
Elle a été soldée en 1886, mais les haïtiens ont payé les intérêts jusqu'au
milieu du 20ème siècle ...
Vous remarquerez au passage que
ce passé peu glorieux de notre beau pays est absolument absent de nos livres
d'histoire ...
Toujours est-il que ce premier
élément a joué dans le développement économique du pays, c'est indéniable. Et ce contentieux entre Haïti et la France est omniprésent encore aujourd'hui. François Hollande dans son discours aujourd'hui en Guadeloupe a souligné ce problème et nul doute qu'il y reviendra mardi lors de sa visite en Haïti ...
A cela il faut ajouter une main
mise quasi omniprésente des Etats-Unis sur l'île, pour des raisons
géo-stratégiques, difficiles parfois à déchiffrer. Notons simplement que Cuba
n'est qu'à 150 km des côtes haïtiennes.
Rappelons enfin qu'à partir de
1957, Haïti a connu 30 années d'exaction sous le joug des Duvallier père et fils.
30 années durant lesquelles de nombreux intellectuels ont dû fuir le pays (notamment pour les Etats-Unis et le Canada) sous
la menace des fameux tontons macoutes.
Depuis la chute de Bébé Doc (c'est ainsi qu'on surnommait Jean-Claude Duvallier) en
1986, l'instabilité chronique, là aussi savamment entretenue par ceux qui ont
de gros intérêts économiques ou politiques en Haïti - Le pays est une des
principales plaques tournantes du narco-trafic entre Etats-Unis et amérique
Latine - l'instabilité chronique donc, maintient le pays dans un état de
pauvreté avancée ou pour beaucoup la survie est devenue une préoccupation
quotidienne.
La majorité des haïtiens qui a vu
défiler des gouvernements corrompus et surtout inefficaces tourne le dos
aujourd'hui aux promesses electorales des uns et des autres, boudant les
élections (le taux d'abstention de la dernière présidentielle est proche de
80%).
C'est donc muni de ce prisme
qu'il faut analyser les comportements.
Ainsi les haïtiens ont appris malgré eux à être méfiants vis à vis de leur propre voisin, méfiants aussi à l'égard de
l'étranger, en particulier du blanc. J'ai pu le constater à mes dépends en
début de stage, mais dans d'autres contextes également.
Il faut aussi souligner que les
blancs sont assimilés à la fois aux riches, à ceux qui ont le savoir, le
pouvoir, aux donateurs (à travers la multitude d'ONG présente sur le
territoire) doublés parfois d'un habit de profiteur, aux anciens colons, dont
beaucoup de ces derniers se sont mariés à des femmes haïtiennes, donnant
naissance à des métisses que l'on appelle aussi mûlatres. Ayant pu bénéficier
de l'éducation et de l'argent, ces
derniers sont aujourd'hui parmi les riches haïtiens, solidement ancrés dans le
business où dans les rangs du pouvoir de génération en génération.
Pas étonnant donc que certains
haïtiens nous perçoivent aussi comme responsables de tous leurs maux, un peu
comme ailleurs on désignerait le noir ou l'arabe comme la cause de sa propre
impuissance (suivez mon regard ...).
A titre d'exemple, un soir
d'avril, nous nous rendons à un concert à l'Institut Français. C'est un concert
en plein air. Beaucoup de monde est présent car les artistes qui jouent et
chantent ce soir-là sont connus ici en Haïti.
Soudain, un groupe de jeunes,
excités à la Prestige (bière locale), s'inspirant du tempo de la chanson en
cours, se met à entonner un refrain qui dit "A bas colons, à bas Minustah"
(MIssion des Nations Unies pour la STAbilisation en Haïti). Au moment où les
paroles de l'artiste expriment par ailleurs la paix. Forcément, on se sent un
peu visés. Et mal à l'aise, on préfère s'éloigner du groupe. Et puis on
relativise, ce groupuscule est isolé et loin d'être majoritaire, mais cela montre
bien que finalement, où que l'on se trouve dans le monde, l'appauvrissement
culturel, le manque d'éducation et la perspective d'un avenir incertain constituent un terreau fertile à la
stigmatisation de l'étranger et à la recherche de boucs émissaires. Ici, le bouc
émissaire, ça peut être le blanc, ça change un peu ...
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